Je me suis demandée quelle était notre vie avant les mails. J’ai essayé de me souvenir.
Nous recevions un coup de fil, nous écoutions la voix, ressentions l’émotion, sous les mots se cachait l’intention, que l’on devinait, plus ou moins proche. Ou une lettre que l’on ouvrait tranquillement, un temps encore pour la lire, y penser, parmi les autres, et les mots qui voguaient encore, accompagnés par la pensée de l’autre, la pensée qui le gardait un temps, et l’enveloppait. On réfléchissait à ce que l’on allait répondre, on prenait son temps aussi, et la pensée s’étalait, l’amour sans doute, s'étirait.
Je me demande ce que déclenche cette immédiateté, cette rapidité sous les doigts, je me demande si ce n’est pas tout à coup une injonction, un espace si restreint que l’on y perd sa propre voix, dans la précipitation, si l’on est pas obligé d’en emprunter une autre, pour ne pas se tromper. Je me demande si cette obligation d’immédiateté ne vient pas configurer notre relation à l’autre de façon différente, à plus ou moins long terme. On s’en tient aux faits et l’écriture y perd un peu ses droits, vite pensée, vite tracée, souvent dans des formules d’usage, un peu comme les anciennes formules de politesse. On pense à l’autre moins longtemps, entraînés vers le suivant comme des petits navires sur lesquels on saute en vitesse.
Alors, retour à la lettre ?